« J’partage ma vie dans mes morceaux, j’tourne en rond comme table de Lancelot ».

Une métaphore complexe, une introspection brute : tout est dit dans cette phrase extraite de « #QuedusaalVie », un titre qui résume à lui seul l’état d’esprit de William Kalubi Mwamba, plus connu sous le pseudonyme de Damso. Rappeur, auteur, compositeur, parolier et chanteur congolais-belge, Damso s’est imposé comme une figure incontournable du rap francophone au cours des dix dernières années. Originaire de Kinshasa, comme il le mentionne fièrement dans « Kin la belle », il a su transformer les ombres de son passé en énergie créatrice, marquant une génération entière avec ses textes à la fois poétiques et crus.

Éclairons la trajectoire d’un artiste qui a commencé sa carrière dans l’obscurité pour devenir une étoile singulière dans le ciel du rap francophone.

William voit le jour à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, le 10 mai 1992. Sa jeunesse est marquée par la guerre et l’instabilité politique, ce qui pousse sa famille à fuir pour la Belgique lorsqu’il est encore enfant. S’installer à Bruxelles représente une rupture brutale : là où la chaleur humaine et l’effervescence de Kinshasa disparaissent, les quartiers bruxellois imposent leur froideur et leurs codes.

Cette dualité, entre ses origines africaines et son exil en Europe, devient un thème récurrent dans son œuvre. Elle se manifeste notamment dans ses références à son enfance, à la langue lingala et à l’importance de ses racines dans sa construction personnelle. Dans « Kin la belle », il chante : «RDC, ma patrie, mes gènes, pour toi, j’suis resté le même», un hommage touchant à la ville qui l’a vu naître.

Mais à Bruxelles, la vie n’est pas facile. Et trés vite, William laisse place à Damso, qui découvre rapidement les réalités des quartiers populaires, le poids des discriminations et la violence d’un système qui marginalise ceux qui, comme lui, tentent de s’intégrer. Ces épreuves nourrissent son regard critique sur le monde et affûtent sa plume.

Damso commence à faire de la musique dans l’ombre, loin des projecteurs. Ses premières apparitions sur la scène rap bruxelloise sont marquées par une énergie brute et une envie viscérale de raconter des histoires. En 2014, il sort sa première mixtape, Salle d’attente, un projet qui passe relativement inaperçu mais qui pose les bases de son univers musical. Les morceaux y sont sombres, introspectifs, parfois chaotiques, à l’image d’un jeune artiste qui cherche encore sa voie. On y devine cependant trés vite une plume assassine, qui développe des punchlines incisives : « Dans ce monde de vices, la femme est le clou du spectacle »

Sa rencontre avec Booba, le « Duc de Boulogne », marque un tournant décisif. En 2015, Damso est repéré par le rappeur français grâce à son morceau « Poséidon ». Impressionné par son talent, Booba l’intègre à son label, 92i, et l’invite à poser un couplet sur le morceau « Pinocchio », extrait de l’album Nero Nemesis. Ce couplet fait sensation : la voix grave de Damso, son flow nonchalant et ses punchlines tranchantes “Mon flow prend le large le tiens prend de l’âge, pour déstresser j’fais des prises d’otages” attirent immédiatement l’attention.

En 2016, Damso sort son premier album studio, Batterie Faible, sous l’égide de 92i. Le projet est un succès immédiat, propulsé par des titres comme « BruxellesVie » et « Amnésie ». Ce dernier morceau, où il raconte avec une sincérité déchirante une histoire d’amour brisée, devient un hymne pour des milliers d’auditeurs. Et c’est également un morceau trés personnel, qui la frappé tout au long de sa vie et l’a influencé, comme il le dit : « Le #VIE tiens peut être d’elle, de son cou pendu à la corde. »

Avec Batterie Faible, Damso s’impose comme un artiste à part, capable de mêler introspection et critique sociale, sensualité et noirceur. Sa plume, tour à tour crue et poétique, s’adresse à un public large, des amateurs de rap hardcore aux auditeurs en quête d’émotions profondes. Dans ces inspirations, on retrouve notamment Myléne Farmer, qui, lorsque l’on plonge dans les émotions proposée par les deux artistes, devient un lien tout à fait cohérent.

L’album reflète également les influences musicales de Damso : des sonorités trap américaines aux mélodies africaines, en passant par des ambiances plus minimalistes qui mettent en avant la puissance de ses textes.

Un an plus tard, en 2017, Damso confirme son statut avec Ipséité, un album qui redéfinit les standards du rap francophone. Ce projet est porté par des tubes comme « Macarena », « Signaler » et « Nwaar Is The New Black ». Ipséité est un véritable carton commercial : certifié disque de diamant, il assoit Damso au sommet des charts.

Ce qui distingue Ipséité, c’est l’équilibre parfait entre morceaux introspectifs et hits taillés pour les radios. Damso explore des thématiques variées : l’amour (« Macarena »), la trahison (« Kietu »), le racisme (« Nwaar Is The New Black ») et la quête de soi. Le titre de l’album, tiré d’un terme philosophique signifiant « l’essence propre d’une personne », reflète cette recherche identitaire.

Par ailleurs, Damso surprend par son audace artistique : il n’hésite pas à intégrer des sonorités inattendues et à jouer avec les codes du rap. Il s’affirme à la fois comme un poète urbain et un stratège musical.

En 2018, Damso sort Lithopédion, un album au titre étrange inspiré d’un phénomène médical rare, où un fœtus meurt et se calcifie dans le ventre de sa mère. Ce choix symbolise la façon dont Damso conçoit son art : comme quelque chose qui est à la fois beau et tragique, ancré dans l’ombre mais appelé à être dévoilé.

Lithopédion est l’album de la maturité. Plus sombre, plus complexe, il s’attaque à des thèmes comme la dépression, la paternité et les ambiguïtés de la gloire. Dans « Julien », Damso explore le théme tabou de la pédophilie, tandis que dans « Smog », il exprime son mal-être face à la superficialité de l’industrie musicale.

Musicalement, Lithopédion est un chef-d’œuvre. Damso y expérimente davantage, intégrant des instruments acoustiques, des harmonies vocales et des arrangements subtils qui élargissent les horizons du rap francophone.

En 2020, Damso dévoile QALF, un projet qui marque une transition vers une approche plus introspective et spirituelle. Ce projet, mûri sur plusieurs années, est enrichi en 2021 par QALF Infinity, qui vient compléter l’histoire entamée avec le premier volet. Damso y montre une facette encore plus introspective de sa personnalité, explorant des thèmes comme l’amour, la quête de sens et l’humanité.

Dans « 911 », il exprime une douleur sourde : « Ok, va dire à la Mort qu’t’as rencontré l’homme de ta vie » Tandis que « Morose » offre une réflexion sur la solitude et l’isolement. Avec QALF Infinity, Damso dépasse les frontières du rap pour livrer une œuvre qui résonne comme un manifeste personnel. Tout le projet est d’ailleurs serti de sonorités qui quittent le milieu du hip-hop, avec des influences très jazz.

Dans la continuité de son travail introspectif, Damso sort en 2021 le titre « J’avais menti ». Ce morceau, à la fois confession intime et déclaration d’amour, met en lumière les paradoxes de l’artiste. Ce titre, porté par une mélodie douce et un texte poignant, est une preuve supplémentaire de sa capacité à toucher les cœurs tout en restant fidèle à sa vision artistique.

L’annonce de son prochain projet, Beyah, suscite déjà une grande excitation parmi ses fans. Prévu pour 2025, cet album est annoncé comme une nouvelle étape dans la carrière de Damso, voir même comme une conclusion. Si peu d’informations ont filtré pour l’instant, l’artiste a laissé entendre que cet opus pourrait être son œuvre la plus personnelle et expérimentale à ce jour. Les attentes sont immenses, mais Damso a prouvé à maintes reprises qu’il sait transcender les attentes pour offrir des créations uniques.

L’impact de Damso sur le rap francophone est immense. Sa manière de raconter des histoires, de jouer avec les mots et de repousser les limites des genres musicaux a inspiré une nouvelle génération d’artistes. Il a ouvert la voie à un rap plus introspectif, plus audacieux, où l’émotion et la technique se mêlent harmonieusement.

De Kinshasa à Bruxelles, des mixtapes confidentielles aux sommets des charts, Damso a tracé un parcours exceptionnel. Son œuvre, à la fois sombre et lumineuse, continue d’inspirer des millions de fans à travers le monde.

Damso est plus qu’un rappeur : il est un poète des temps modernes, un artiste complet qui transcende les genres et les époques. Avec ses mots, il dévoile ses blessures et ses espoirs, transformant son expérience personnelle en une œuvre universelle. Et si l’histoire de Damso est marquée par l’ombre, elle brille également d’une lumière éblouissante, à l’image de l’artiste lui-même. Alors, en attendant son retour, nous ne pouvons que lui souhaiter, une merveilleuse, #VIE.

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